Chaque jour pendant la Route du Rhum, Armel Tripon envoie un message depuis son Ocean Fifty Les P’tits Doudous. Les dernières 24 heures ont été dures, marquées par le chavirage d’un autre skipper, Thibaut Vauchel-Camus, qui a heureusement été sauvé ce dimanche matin. L’épisode a forcément marqué Armel. Voici son message du jour ce dimanche 12 novembre :

 

« Encore une nuit un peu chargée ! On a passé le front en début de nuit. Derrière ce front,  la mer était vraiment pourrie et puis Thibaut qui chavire !  (ndr Thibaut Vauchel-Camus, alors leader en Ocean Fifty a chaviré hier samedi et a été sauvé ce dimanche matin)… Du coup je n’étais pas dans le match, j’ai été lent pendant un moment. Depuis je me suis ressaisi et j’ai renvoyé de la toile, mais j’avais un peu perdu le fil. Bon voilà, ce n’est pas très grave non plus. Forcément, j’ai une grosse pensée pour Thibaut et son équipe ! La dure loi du multicoque… »

« On est au reaching, là et ça déboîte, avec la mer de face. Il y a des paquets de mer qui arrivent et on ne peut pas être protégés autrement que dans la niche. Et même dans la niche, ça éclabousse de partout. Ce n’est pas tout de suite qu’on va sortir les maillots et les shorts, visiblement ! Mais bon si la mer se range déjà ça va être mieux, si ça mollit un peu. Là il y a encore une vingtaine de nœuds de vent. Il l faudrait que ça tombe à 15 nœuds, ce serait tout de suite plus acceptable. [ndr : en effet, le vent va mollir aujourd’hui dimanche et ce sera, on l’espère, l’occasion pour Armel de se reposer enfin. Trois nuits sur quatre de cette Route du Rhum ont été très engagées et peu propices au sommeil. ]

Chaque jour pendant cette Route du Rhum, Armel envoie un message depuis son Ocean Fifty Les P’tits Doudous. Voici son message du jour, ce samedi 12 novembre à midi, entre deux passages de vent fort. Le premier front a été franchi sans encombre, le deuxième se profile ce samedi soir…

 

« Cette troisième nuit (de vendredi à samedi) a été un peu compliquée, avec le passage d’un premier front et une dorsale derrière. Autant dire pas beaucoup de sommeil ! C’était assez mouvementé, d’abord avec du vent et ensuite pas de vent du tout. (NDR : dans ces cas-là, il faut rester éveillé pour exploiter le moindre souffle, on ne peut pas se reposer du tout). On vient de retoucher du vent il y a un peu plus d’une heure (vers 11h heure française ce samedi 12 novembre). Ce n’est pas simple non plus. On se dirige maintenant vers le deuxième front qu’on touchera en fin de journée. Pour l’instant c’est sympa car la mer est plutôt plate, il y a même du soleil. Je grappille du sommeil dès que je peux pour récupérer tout le repos que je n’ai pas eu cette nuit. Je viens de revirer de bord. Je navigue en bâbord amures pour aller chercher le vent plus fort qui va monter progressivement, au fur et à mesure de la journée. Donc on va réduire la toile progressivement aussi et peut-être après glisser vers le sud, qui sait ? Allez belle journée à tous, je vous embrasse ! »

Excellent début de Route du Rhum pour Armel: le golfe de Gascogne est derrière lui, environ 200 milles au nord-ouest de Porto. La flotte des six premiers Ocean Fifty navigue groupée, avec Les P’tits Doudous en permanence dans le trio de tête après 48 heures de course. Nous avons pu joindre Armel au téléphone satellite ce vendredi 11 novembre. Il explique la situation.

 

Armel est bien dans le match à bord de son Ocean Fifty Les P’tits Doudous qui oscille entre la deuxième et la troisième place, aux avant-postes parmi les six premiers skippers d’une flotte encore groupée emmenée par Quentin Vlamynck. Bonne nouvelle : la deuxième nuit de mer dans le golfe de Gascogne a été beaucoup moins éreintante que la première. Joint au téléphone satellite ce vendredi, Armel raconte : « On est au près, il y a une belle houle d’ouest et le vent a un peu molli, entre 15 et 17 nœuds. La mer est belle, il y a du soleil qui chauffe un peu. C’est cool, ça permet de tout faire sécher et c’est important car le bateau est assez peu protégé et le début de course a été humide et très fatigant : du vent, de la mer, beaucoup de manœuvres… Bref, c’est super aujourd’hui en attendant le passage de deux fronts successifs ce soir vendredi et demain samedi.»

Le skipper des P’tits Doudous poursuit : « Je navigue à vue avec Thibaut (Vauchel-Camus), on s’est beaucoup vu tous les deux depuis le passage de la pointe de Bretagne. J’ai le moral au beau fixe, c’est chouette d’être dans le rythme. Je pense être dans le bon tempo… Je suis content ! »

 

Deux passages de front à négocier

Le problème qui se pose désormais aux skippers en Ocean Fifty c’est donc deux passages de front à négocier : le premier dès ce lundi soir vers 22 heures et le second demain samedi. « Le premier est moins fort que le second. Il y aura 25 nœuds de vent maximum ce soir » explique Armel. « Puis, derrière ce premier front cette nuit, il y a une dorsale de vents faibles qui pourrait nous ralentir temporairement. Ensuite, dès demain samedi, le deuxième front est plus costaud. Il est constitué des restes d’une tempête tropicale, avec probablement plus de 30 nœuds de vent, et ce deuxième front est beaucoup plus méchant au nord qu’au sud. C’est pour éviter le plus gros de ce deuxième front qu’on se positionne en piquant vers le sud. C’est ce que font aussi la plupart des IMOCA, d’après ce que je vois. »

Le tout est étudié de près par la cellule de routage des P’tits Doudous et Armel, mais sans appréhension, car la trajectoire a été bien anticipée. Il y a peut-être même des trous de souris entre les systèmes météo à aller chercher pour descendre vers le sud avec le meilleur compromis possible, en attendant la promesse des vent portants des alizés qui n’est pas encore pour tout de suite. « Je suis confiant, ça va bien se passer » assure Armel d’une bonne voix, posée et reposée. Cela en dit long aussi sur le moral du marin : au beau fixe.

Chaque jour pendant cette Route du Rhum Destination Guadeloupe, Armel Tripon envoie un message depuis son Ocean Fifty Les P’tits Doudous. Voici son message du jour, ce vendredi 11 novembre, au cap Finisterre alors que le golfe de Gascogne est déjà derrière lui et qu’il navigue à la deuxième place :

 

« J’ai vécu une deuxième nuit de course plutôt reposante ! J’ai essayé d’engranger pas mal de sommeil. J’ai privilégié le repos et la nourriture pour bien récupérer en vue des prochaines nuit où ça va être plus mouvementé avec le passage de deux fronts, dont un assez costaud. Dans la flotte des Ocean Fifty tout le monde va un peu vers le Sud pour se protéger et prendre un peu moins fort. »

« Globalement tout va bien. J’ai mangé, j’ai dormi et maintenant je vais changer de vêtements en mettant des sous-couches sèches pour attaquer ces passages de fronts successifs. Côté navigation, il faut toujours trouver l’équilibre entre aller vite, mais sans trop tirer sur le bateau. Là, ça tape un peu car on est au près. Globalement ça se passe bien. Je suis plutôt content de ce début de course et d’être dans le rythme. C’est chouette ! »

Armel Tripon a envoyé un message depuis son Ocean Fifty Les P’tits Doudous ce jeudi matin 10 novembre, après une excellente première nuit en mer sur cette Route du Rhum. Le moral est au beau fixe. Voici ce message :

« Et voilà, la première nuit en mer est passée ! C’était assez sportif avec du louvoyage en Manche, des variations de vent, du jeu, du courant… Il a fallu s’abriter du courant derrière les cailloux, négocier le chenal du Four contre le jus (courant), enfin voilà : c’était assez rythmé ! J’ai réussi quand même à caler une ou deux siestes. Le passage du raz de Sein était super : au ras de la Vieille, dans une lumière incroyable, avec une lune quasiment pleine, c’était très beau ! La mer s’est rangée maintenant. Ce jeudi matin, il y a moins de vent, on est à 10, 12 nœuds et on file avec Francis Joyon derrière moi, ce qui est quand même assez rare, je pense ! Bon, ça ne va pas durer (NDR : Francis Joyon navigue sur IDEC Sport, bateau de légende vainqueur des trois dernières Route du Rhum en Ultim et deux fois plus grand que Les P’tits Doudous). J’en profite ! Il y a « Mieux » (l’Ultim d’Arthur Le Vaillant) sous le vent, Thibaut (Vauchel-Camus) au vent, et voilà. Je vais allez prendre un p’tit déj’. Allez, je vous embrasse ! »

Cette fois c’est parti ! Le top de la 12e Route du Rhum-Destination Guadeloupe a été donné ce mercredi 9 novembre à 14h15 devant Saint-Malo. Un magnifique spectacle avec 138 marins lancés sur une très longue ligne de départ. Armel Tripon, à bord de son Ocean Fifty Les P’tits Doudous a parfaitement réussi cet exercice périlleux, dans le quatuor de tête. Hélas, chez Ocean Fifty le grand favori, Sam Goodchild,s’est sérieusement blessé et il a dû être évacué.

Du vent, de la mer, du soleil… quel magnifique départ ! A 14h15 ce mercredi 9 novembre, 138 skippers solitaires ont été lâchés par le comité de course de la Route du Rhum Destination Guadeloupe, par zones pour chacune des six catégories sur une très longue ligne de départ : 3,5 milles nautiques soit 6 kilomètres.

Vent d’ouest – donc de face obligeant à partir au près serré – clapot, mer « glaz » (terme breton qui désigne une couleur entre le bleu et le vert) et toutes voiles dehors, le départ était splendide pour cette 12e édition de la légendaire transatlantique en solitaire.Les milliers de personnes massées au cap Fréhel, malgré le report de 72 heures du départ, en ont pris plein les yeux.

Chez les Ocean Fifty, trimarans de 50 pieds, ce départ a été mouvementé. Dès le départ, le grand favori Sam Goodchild (Leyton) s’est blessé « aux bras et au visage » au départ de la course. Sur la cartographie de la course, on voit que son bateau fait demi-tour. Un communiqué officiel indique, hélas, que Sam va être évacué (conscient) sur un bateau de la SNSM pendant que son équipe technique met le bateau à l’abri. La course est déjà terminée pour le skipper britannique, contraint à l’abandon sur ce malheureux coup du sort(*). Toute l’équipe des P’tits Doudous souhaite un prompt rétablissement à Sam, en se souvenant notamment que c’est lui qui avait accepté de louer son mât à Armel Tripon pour continuer de naviguer après le chavirage d’avril dernier, en attendant la construction du mât neuf qui équipe aujourd’hui Les P’tits Doudous.

Les P’tits Doudous dans le match aux avant-postes

Pas de souci en revanche pour Armel Tripon et Les P’tits Doudous qui sont partis parfaitement lancés dans le vent d’ouest d’une quinzaine de nœuds, se maintenant dans le quatuor de têteavec Quentin Vlamynck (Arkema), Thibaut Vauchel-Camus (Solidaires en Peloton-Arsep), Sébastien Rogues (Primonial) et Erwan Le Roux (Koesio). Très concentré et rapide, le skipper des P’tits Doudous a réussi son premier objectif : profiter de la vitesse de son Ocean Fifty pour partir dégagé de la grande majorité des autres concurrents, sans casser. Vers 16h, après environ 1h45 de course, la célèbre bouée du cap Fréhel était franchie par Les P’tits Doudous en troisième position.

Voilà une bonne chose de faite, même si les choses sérieuses ne font que commencer : en Ocean Fifty, il y a une dizaine de jours de mer à réussir avant l’immense récompense de sentir la terre de l’île papillon : la Guadeloupe. Prochains objectifs ce mercredi soir : bien négocier le courant, passer sans encombre la première nuit en mer et se positionner le mieux possible pour aller chercher un premier passage de front dans l’ouest, avant de pouvoir vraiment mettre le cap vers le sud. Mais nous n’en sommes pas là encore. Pour le moment Armel Tripon et Les P’tits Doudous ont réussi leur entame, c’est toujours bon à prendre. A bord, on en connait un qui doit se dire : « enfin seul ! » C’est à lui de jouer, maintenant.

Reporté pour la première fois de l’histoire à cause d’une mer trop dangereuse, le départ de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe va finalement être donné ce mercredi 9 novembre à 14h15, à Saint-Malo. Armel Tripon, skipper du trimaran Les P’tits Doudous, est confiant. Et il annonce que la traversée de l’Atlantique jusqu’à Pointe-à-Pitre pourrait prendre 10 jours, alors que le record en Ocean Fifty est de 11 jours, 5 heures et 13 minutes.

 

Armel, comment as-tu occupé ces trois jours imprévus en attendant le départ de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe, reporté pour la première fois depuis la création de l’épreuve ?

« J’en ai profité pour engranger encore un peu plus de sommeil ! Et c’était nécessaire, car mine de rien, j’avais accumulé pas mal de tension la semaine dernière entre les sollicitations médiatiques nombreuses, les briefings, le fait de ne pas savoir si on allait partir dans le très gros temps ou pas, etc. La preuve qu’il y en avait besoin c’est que j’ai dormi 10 heures dans la nuit de dimanche à lundi ! Bref, je suis resté à Saint-Malo et je me suis bien reposé. Dimanche, on a déjeuné avec Niji, un des grands partenaires du projet et c’était vraiment sympa. Et puis évidemment, on a bossé à fond les différents scénarii météo avec la cellule de routage. »

 

Justement, à quoi s’attendre avec ce départ mercredi à 14h15 ? Le schéma météo est très différent, non ?

«  Pour la sortie de Manche, ce sera à peu près les mêmes conditions, avec entre 15 et 20 virements de bords à faire dans du vent de face de secteur ouest qui soufflera entre 15 et 20 nœuds. Puis se posera très vite la question de bien se positionner pour aller chercher le front dans l’ouest. Celui-ci est moins actif que celui qu’on a évité dimanche mais il est très étendu en axe nord-sud. Nous n’avons pas d’autre choix que de le traverser, pour aller chercher la bascule du vent derrière et ensuite mettre le cap vers le sud. La mer s’est bien calmée : on aura entre trois et quatre mètres, maximum et pas six à huit mètres comme cela aurait été le cas si nous étions partis dimanche. Le moment où nous pourrons mettre du sud dans notre route n’est pas encore très clair, car il y a un deuxième front derrière le premier et aujourd’hui ce moment est encore difficile à prévoir. Il faudra actualiser la météo en sortie de Manche, quand on naviguera en mer d’Iroise. Pour le moment c’est impossible de donner un timing précis au cap Finisterre. Ce qui est sûr, c’est que le golfe de Gascogne sera bien moins dangereux que si nous étions partis dimanche. Cela n’a rien à voir, on retrouve des conditions maniables. Du coup la régate va être belle. »

 

A la veille du grand départ, est ce qu’il y a moins d’appréhension que vendredi, quand on parlait encore d’éventuellement partir affronter des fronts successifs et une mer énorme ?

« Forcément ! Cette fois on sera en mode course, pas en mode survie, et ça change tout évidemment. D’un point de vue sportif, ça confirme que c’était une bonne décision de reporter le départ. Place au sport ! »

 

En combien de jours un Ocean Fifty comme Les P’tits Doudous pourrait-il atteindre l’arrivée à Pointe-à-Pitre ?

« Je pense qu’on peut mettre autour de 10 jours. Sachant que le record établi par Erwan Le Roux en 2014 est de 11 jours et 5 heures, je pense que nous pouvons l’améliorer. Ce sera une course rapide et ce serait pas mal d’améliorer ce record-là. (NDR : En 2018 Armel Tripon avait gagné la Route du Rhum à bord de Réauté Chocolat en 11 jours et 7 heures, mais le record est bien détenu par Erwan Le Roux depuis 2014 en 11 jours, 5 heures, 13 minutes et 55 secondes) »

 

Ton bateau est moins protégé que ceux de tes concurrents. Cela va-t-il t’imposer une manière différente de naviguer ?

« De naviguer, non. Mais pour gérer mon repos et ma récupération, ça oui il faut que j’en tienne compte parce que je suis plus exposé donc plus soumis au vent, aux vagues et aux embruns. On a fait quelques aménagements pour corriger ça comme rallonger la casquette et optimiser l’ergonomie pour pouvoir m’allonger au niveau du pont et y récupérer à l’abri et à proximité des écoutes.  Naviguer sur ce bateau là est plus fatiguant entre guillemets que sur d’autres, donc c’est surtout pour cela que je dois bien gérer ma récupération et mon sommeil. »

 

Dans quel état d’esprit es-tu à quelques heures du grand départ de cette 12e Route du Rhum-Destination Guadeloupe ?  

« J’ai le moral ! Passer d’un éventuel mode survie à un vrai mode course, c’est chouette. La course va être intéressante et sympa. Le report du départ me fait un peu penser au départ du Vendée Globe pendant le Covid pour le côté ambiance en petit comité. Le village est en train d’être démonté, il y aura beaucoup, beaucoup moins de spectateurs que si nous étions partis dimanche, évidemment. Cela donne une ambiance particulière, ici à Saint-Malo : on dirait qu’on part pour une petite régate entre copains, alors que c’est la Route du Rhum quand même ! (rires) »

Les prévisions météo s’avérant trop dangereuses pour la flotte des 138 skippers solitaires, le  départ de la Route du Rhum Destination Guadeloupe est ajourné. Initialement prévu ce dimanche 6 novembre à 13h02, il est reporté  à « mardi ou mercredi ». Pour Armel Tripon, skipper du trimaran Ocean Fifty « Les P’tits Doudous », c’est « une sage décision ». Le vent et la mer étaient incompatibles avec le fait de lancer 138 marins solitaires dans la gueule du loup. La course n’en sera que plus équitable et plus belle en milieu de semaine.

 

La course au large, ce n’est pas les jeux du cirque. Si l’on trouvera toujours des grincheux pour assurer qu’il faut toujours donner le départ d’une course à la voile quoiqu’il arrive, en général ces mêmes grincheux n’ont jamais essuyé une mer de six à huit mètres et 50 nœuds de vent de face, seuls à bord d’un multicoque, volage par définition !

En décidant de repousser le départ à « mardi ou mercredi », la direction de course de la Route du Rhum et son patron Francis Le Goff se sont rendus à l’évidence. Ils ont pris la seule mesure qui s’imposait. Les vents et la mer annoncée (50 nœuds de vent instable, 6 à 8 mètres de creux, trois passages de fronts successifs) étaient trop forts. Voilà tout. Pas de quoi fouetter un chat. Quand c’est trop gros, c’est trop gros ! Ok pour le spectacle, mais dans la mesure du raisonnable. Jouer avec la vie des marins et l’intégrité de leurs bateaux n’est jamais une bonne idée. Jamais !

 

« La seule décision qui s’imposait » 

« C’est une sage décision » commente sans détour Armel Tripon, skipper de l’Ocean Fifty Les P’tits Doudous, et vainqueur de la dernière Route du Rhum dans cette catégorie des trimarans de cinquante pieds. Armel Tripon, en lice sur un bateau particulièrement exposé, très peu protégé de la mer, est accessoirement mari et père de trois enfants… Le simple bon sens s’est imposé.

Alors oui, évidemment reporter un départ est une décision spectaculaire et toujours pénalisante pour les sponsors, les marins, les spectateurs. Armel Tripon ajoute : «  En même temps, nos sponsors viennent aussi pour ces valeurs : l’humilité et le respect face à la nature ! Ce report en est l’illustration. Francis Le Goff a pris la seule décision qui s’imposait. En outre, il doit composer avec une flotte dans laquelle il y a aussi des amateurs. Ce qui est à peu près sûr, c’est que de toutes façons aucun skipper n’aurait suivi le routage qui faisait monter jusqu’en Irlande pour avoir une petite chance d’échapper au plus gros du mauvais temps ! »

Au final, que ce soit la nature, le vent et l’état de la mer qui décident est finalement assez logique… et très sain. Car sportivement parlant, qu’aurait valu une course où la moitié de la flotte aurait forcément choisi de s’abriter dans des ports en laissant passer le mauvais temps pendant deux à trois jours ? Pas grand-chose, voire rien du tout. La nature a imposé sa loi, voilà tout. La course n’en sera que plus équitable et plus belle à partir du milieu de semaine. Rendez-vous mardi !

« Naviguer en bon marin », c’est savoir être prudent quand les conditions météo l’exigent. Et c’est bien l’intention d’Armel Tripon car les conditions météo du départ de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe s’avèrent engagées, avec vent fort et mer grosse de dimanche à mardi. Nous avons interrogé le skipper de l’Ocean Fifty Les P’tits Doudous, vainqueur en 2018. Il explique que plusieurs passages de front et une mer exigeante vont l’inciter à prendre le moins de risques possible.

 

Armel, à quoi s’attendre d’abord sur la zone de départ de la Route du Rhum, dimanche à 13h02 devant Saint-Malo ?

« On part dans un flux d’ouest à sud-ouest soutenu. Il y aura 20 à 25 nœuds de vent dès le départ ; Cela peut déjà être assez chaud, car on va devoir louvoyer pour aller chercher le cap Fréhel. Il faudra donc tirer des bords en solitaire à 138 bateaux, entre des zones interdites et des bateaux spectateurs : autant dire qu’il faudra être bien concentré ! Notre chance en multicoque est d’être rapides et donc que nous avons la capacité de nous dégager par l’avant plus rapidement que d’autres. Mais cela implique aussi qu’il faudra être bien toilé, malgré un vent très rafaleux. »

« Le vent sera instable et la mer atteindra 6 mètres »

Ensuite ? Quelles conditions sont annoncées dans la Manche, puis à la pointe bretonne ?

« Le facteur important est que le vent sera très instable et rafaleux, ce qui est une première difficulté en multicoque. La deuxième difficulté est que la mer va forcir très rapidement pour atteindre six mètres entre la houle et les vagues conjuguées, dès dimanche soir. La houle fera quatre mètres et la mer du vent deux mètres, mais normalement avec une période suffisamment longue entre deux crêtes de vagues (15 secondes) pour que la mer ne déferle pas. C’est sûr que le début de course sera très engagé. »

Et lundi dans le golfe de Gasconne ?

« Nous aurons le passage d’un front très actif à négocier en fin d’après-midi de lundi, où il peut y avoir 35 nœuds de vent moyen de sud-ouest et des rafales supérieures à 45 nœuds. En plus, il n’y a pas une bascule vraiment franche derrière comme c’est souvent le cas : là, il faudra attendre mardi pour que le vent repasse temporairement à l’ouest… avant le passage d’un nouveau front mercredi si celui-ci se confirme. »

C’est un début de course très musclé, donc…

« C’est certain, oui, le début de course va être corsé. Il va falloir trouver le point de passage le moins venté possible, prendre le moins de risques possible. Je n’ai pas du tout envie de casser mon bateau ! J’étudie tout ça de très près avec mes routeurs à terre : Tanguy Le Glatin, Vincent Barnaud et Nicolas Lefriant. On va jouer la prudence. Il va falloir naviguer en bon marin. »

Avant cette réalité de la mer, il y aura eu le passage des écluses, samedi à 13h pour Les P’tits Doudous. Un moment symbolique important ?

« Oui, le passage des écluses va être un moment fort en émotions. Ce sera la première Route du Rhum sous les couleurs de l’association et il viendra conclure 15 jours de fête à Saint-Malo. C’est dingue de penser qu’une centaine de soignants sont venus se relayer pour tenir le stand des petits Doudous et pour me soutenir. Ce sera un beau moment, je pense.»

Tenant du titre de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe en Ocean Fifty, Armel Tripon sera bel et bien au départ de la prestigieuse transatlantique en solitaire, dimanche à Saint-Malo. C’était loin d’être gagné ! C’est même déjà une grande victoire, car en avril le skipper nantais avait perdu son mât en chavirant à bord de son trimaran Les P’tits Doudous. Au terme d’une folle saison, l’équipe d’Armel Tripon a déployé des trésors d’énergie, de système D et d’innovations pour réussir cet exploit. Avec l’aide précieuse d’une entreprise… de l’aéronautique.

 

Quand il s’élancera dimanche sur la ligne de départ de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe, Armel Tripon pourra se retourner avec soulagement, voire avec satisfaction, sur sa folle saison 2022. Car honnêtement, quand il chavira seul à bord de son trimaran Les P’tits Doudous en avril au large du Portugal – fortune de mer qui entraîna la perte du mât de son bateau – personne n’imaginait que le skipper nantais pourrait s’aligner au départ de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe  sept mois plus tard ! Les connaisseurs du milieu de la course au large savent que les fabricants de mâts sont totalement débordés. Et donc que construire un autre mât dans un délai aussi court était mission impossible.

Mais Armel Tripon ne s’est pas résigné. Avec l’aide précieuse de toute son équipe, il s’est battu. Récupéré par les sauveteurs portugais, il a organisé le sauvetage du bateau confié au spécialiste Adrien Hardy, puis l’équipe a retourné ciel et terre pour trouver des solutions, avec l’obsession d’être au départ de la Route du Rhum. Le Team du trimaran Les P’tits Doudous a gagné une folle course contre la montre, via un plan en plusieurs étapes menées de front. Ce plan a consisté d’abord à louer un mât de secours à un autre concurrent de la classe Ocean Fifty (en l’occurrence Sam Goodchild) pour continuer à s’entraîner… tout en trouvant une solution originale pour disposer de leur propre mât : en construire un neuf par leurs propres moyens, tout simplement !

« 5000 kilomètres en trois jours »

« Tout simplement » est un énorme raccourci. Car pour construire un mât en composites, il faut des moules. Et construire des moules ne s’improvise pas. En outre, c’est impossible en sept mois. Autrement dit, il fallait trouver et louer ou racheter des moules déjà existants, sachant qu’aucun n’était disponible en France. Armel Tripon résume l’aventure : « J’ai appris que les moules du mât d’un ex Crêpes Whaou de Franck-Yves Escoffier, dormaient à ne rien faire dans un chantier. Problème  : ce chantier était en Suède … »

Qu’à cela ne tienne, Armel parvient à négocier l’achat de ces moules avec le chantier suédois. Encore faut-il aller chercher les moules… et trouver une entreprise capable de les utiliser pour construire un nouveau mât ! « On est allé chercher les moules par la route avec mon boat captain Vicent Barnaud » témoigne Armel Tripon, « On a fait 5000 kilomètres en camion en trois jours. C’était un sacré road trip ! »

Trouver des moules est inespéré. Sauf que cela ne sert à rien si aucune entreprise capable de les utiliser pour fabriquer un mât neuf n’est disponible. Donc, parallèlement à l’aventure en Suède, Armel Tripon et toute son équipe se démènent pour trouver à la fois des financements (« car un chavirage, c’est aussi une très mauvaise affaire côté finances… ») et une solution technique originale. Le skipper, aidé et soutenu par Nolwenn Febvre, Présidente et fondatrice des P’tits Doudous, et  l’ensemble des associations locales, fait fonctionner à fond son réseau – notamment celui des entreprises qui soutiennent Les P’tits Doudous – et déniche une entreprise… du secteur aéronautique, Duqueine Atlantique, capable d’utiliser les moules suédois pour fabriquer un nouveau mât. Une équipe technique dédiée est créée, associant des spécialistes de la construction de voiliers à ceux de l’aéronautique de Duqueine. Et ça fonctionne ! Pourtant très technique, l’opération sera menée à bien en un temps record. Quelques semaines avant le départ de la Route du Rhum, Armel Tripon a ainsi pu disposer d’un mât neuf « évidemment à la jauge Ocean Fifty, respectant le cahier des charges que nous avons fixé, avec toutes les fonctionnalités d’un mât qui aurait été construit chez un fabricant classique et une qualité aux standards exigés pour les avions », assure le skipper des P’tits Doudous.

Voilà comment Armel Tripon et son équipe sont passés en quelques semaines de l’impossible au possible, d’une énorme déception à un grand espoir, d’un hélitreuillage en pleine mer au départ de la Route du Rhum. Belle histoire ! Dimanche, quand sera donné le départ de la course devant Saint-Malo, lui et toute l’équipe des P’tits Doudous auront déjà le sentiment du devoir accompli, la satisfaction d’une belle réussite. Et chez Duqueine Atlantique, pour une fois on sera aussi fiers de voir un bateau naviguer qu’un avion voler. Armel Tripon résume : « J’ai déjà gagné la Route du Rhum, je n’ai pas de pression du résultat… Etre au départ est la première victoire. Etre à l’arrivée sera la deuxième ! »