Ce matin du 24 décembre, c’est déjà la veillée de Noël pour Armel Tripon qui navigue avec douze heures de décalage horaire : quand il est 9 heures pour nous, il est déjà 21 heures pour lui. Une soirée de Noël inédite commence, si loin de sa famille et de son équipe. Dans la grande tradition du Vendée Globe, le skipper de L’Occitane en Provence a déballé ses cadeaux-surprises prévus pour l’occasion, tout en se battant pour gagner du terrain dans un vent qui forcit à 25 nœuds…

Noël seul en mer dans les cinquantièmes hurlants, c’est une expérience inédite pour le père de famille Armel Tripon. Loin de Nantes, de son épouse et de leurs trois garçons, le skipper de L’Occitane en Provence pense forcément à sa famille pendant ce jour particulier. « C’est la première fois que je passe Noël en mer, en solitaire », précise-t-il.
Dans la grande tradition du Vendée Globe, Armel est allé à la recherche de sacs de cadeaux surprises qu’il n’avait pas le droit d’ouvrir avant cette journée du 24 décembre. Et il y a trouvé de drôles de choses…

Des « bons pour », un pull moche qui clignote, une graine de sapin…

Myriam, Swann (8 ans), Edgar (13 ans) et Léo (16 ans) – sa femme et leurs trois garçons – lui ont offert entre autres des mini bouillotes pour réchauffer ses pieds et ses mains, mais surtout des « bons pour » tout ce qu’ils veulent faire avec lui quand Armel aura retrouvé le monde des terriens. Parmi ces bons il y a « une séance de karting avec papa », « un week-end de ski dans la vallée blanche », mais aussi des photos commentées, des cartes, des petits mots doux… « C’est touchant, ça fait chaud au cœur, c’est aussi grâce à ma femme et à mes enfants si je peux réaliser ce rêve de faire le tour du monde à la voile. Je pense fort à eux. Leurs petits mots sont révélateurs de leurs personnalités et ils me touchent. »

La course en solitaire est un sport d’équipe

On dit souvent que la course au large en solitaire est un sport d’équipe et c’est vrai. Le sac de cadeaux préparé par le team de L’Occitane en Provence en est aussi la preuve. Dans cette hotte à cadeaux-là, Armel Tripon a trouvé par exemple un magnifique « pull de Noël moche qui clignote », un bonnet, des chaussettes mais aussi… un bras télescopique pour se gratter le dos, un objet pour se masser le crâne ou encore des lunettes anti-mal de mer ! L’humour sauve de tout, c’est connu. Entre autres babioles qui font sens, Armel a eu droit aussi une graine de sapin de Noël – moins encombrant et moins lourd que dans la force de l’âge ! – à un livre « une pensée positive par jour » qu’il aurait pu écrire lui-même et aussi une « boîte à odeurs » pour se souvenir des parfums de la terre, oubliés depuis 45 jours. « C’est super, ça me fait rire et ça prouve une fois de plus que j’ai une super équipe avec moi, merci à tous ! »

Au-delà des babioles symboliques ce qui touche aussi beaucoup le marin le plus isolé du Vendée Globe ce sont les photos, les petits mots d’amitié et d’encouragement glissés ici et là… et même une vidéo de danse un peu particulière : on y voit les filles de l’équipe de communication du projet L’Occitane Sailing  danser une chorégraphie sur le tube mondial de Mariah Carey « All I want for Christmas is you » (« Tout ce que je veux pour Noël, c’est toi »).

De l’humour, du soutien, un peu de chaleur humaine par procuration. Voilà le Noël en mer d’Armel Tripon tout là-bas à l’autre bout du monde, à la verticale de la mer de Ross, dans sa grande giration australe autour de l’Antarctique. Un peu de foie gras et un plat (lyophilisé) à la truffe font office de repas de Noël. Pas de bûche, Armel n’est pas fan de sucre.

Antiméridien : Armel vivra deux jours de Noël

Noël ou pas, la course, elle, ne s’arrête jamais. La dernière nuit a été difficile, dans les vents faibles d’une petite cellule anticyclonique qui ont contraint Armel Tripon à faire beaucoup de manœuvres et de changements de voiles d’avant. « J’ai dormi 40 minutes seulement pendant toute la nuit dernière, il faut donc que je me repose vraiment aujourd’hui, pendant que vous préparez votre réveillon ! »
Un autre beau cadeau, d’un autre genre, pour le skipper de L’Occitane en Provence, c’est de jeter un coup d’œil au classement. Et se rendre compte que le prochain bateau devant lui (Romain Attanasio) n’est plus qu’à 170 milles. C’est 1100 milles de moins qu’au large du Brésil ! « C’est bien, oui. Le vent est revenu, j’ai plus de 25 nœuds et ça accélère fort. J’ai confiance dans la capacité du bateau à aller vite, dans une douzaine de jours je devrais passer le cap Horn. »

D’ici là, il y aura un épisode amusant : dans environ 500 milles, L’Occitane en Provence franchira l’antiméridien, la ligne de changement de date. Armel vivra ainsi deux jours de Noël. Souvenez-vous de Jules Verne, du Tour du monde en 80 jours et de Phileas Fogg… qui, lui, gagnait un jour « de moins » parce qu’il avait commencé son tour du monde par l’est, à l’inverse des skippers du Vendée Globe qui le commencent par l’ouest.

Armel Tripon va repasser à l’ouest

L’anecdote ne changera rien au quotidien du skipper, mais psychologiquement c’est une marque importante pour une autre raison. Car à partir de cette ligne de changement de date, la longitude passera en un instant de 180° est à 180 °ouest… et cette longitude ne fera que décroître sur les GPS et écrans du bord. L’objectif ultime étant d’arriver dans le meilleur état possible par à 001°47 ouest (et 46°30 nord), soit la position géographique des Sables-d’Olonne. Autrement dit en plus simple : on va repasser à l’ouest et si jusqu’ici on ne faisait que s’éloigner de la France, maintenant on rentre à la maison. Et ça oui, ça compte beaucoup dans la tête du marin solitaire qui file dans l’immensité du Pacifique.

Armel Tripon en a fini avec la traversée de l’océan Indien. En passant à l’aplomb de la Tasmanie, L’Occitane en Provence fait son entrée dans le Pacifique, le plus grand océan de la planète. Et il commence cette grande traversée dans les cinquantièmes hurlants à toute vitesse : Armel Tripon est le plus rapide sur 24 heures, avec 453 milles couverts. Les prochaines grandes étapes s’appellent l’antiméridien (la ligne de changement de date), le point Nemo (le plus isolé de toute terre) et, bien sûr, le cap Horn…

 

C’est une traversée de l’océan Indien spectaculaire qu’a réussi Armel Tripon. Son option osée après l’Afrique du Sud, quand il s’agissait de s’échapper sous une méchante dépression, a été payante : le groupe d’Alan Roura, qui n’avait alors pas pu suivre la cadence infernale imposée par L’Occitane en Provence, navigue désormais plus de 1100 milles derrière Armel Tripon, soit 2000 kilomètres ! Voilà une preuve de plus que le scow dessiné par l’architecte Samuel Manuard et construit par le chantier Black Pepper est très rapide et que la stratégie adoptée par Armel était la bonne.

 

A fond dans les cinquantièmes hurlants, autour de l’Antarctique

Il y a maintenant deux flottes bien distinctes dans ce Vendée Globe 2020 : celle du Pacifique et celle de l’Indien. A force d’efforts et d’option météo bien senties, Armel Tripon a réussi à se maintenir dans la première, celle où l’on regarde déjà vers le lointain cap Horn. Celle aussi qui navigue non plus dans les quarantièmes rugissants, mais plus au sud encore : dans les cinquantièmes hurlants, à la limite de la zone des glaces. Si vous regardez un globe terrestre « par-dessous », vous verrez aussi que L’Occitane en Provence évolue au nord de la mythique Terre Adélie, célèbre contrée glacée du continent Antarctique. N’oublions jamais que le Vendée Globe c’est partir des Sables-d’Olonne, faire le tour de l’Antarctique et revenir.

 

Quelques chiffres à mi-parcours

Dans cette giration autour du gigantesque rond-point du pôle Sud, tous les signes sont positifs pour Armel Tripon ce matin : il a fait le break avec la flotte de l’Indien d’une part et d’autre part il n’a jamais été aussi proche (390 milles) de la 13e place qu’il rêve de prendre à Romain Attanasio. Si l’on revient un peu en arrière, il accusait 1200 milles de retard sur ce même bateau au passage de l’équateur. D’autre part, Armel Tripon n’a plus « que » 1500 milles de retard au leader, contre 2200 au large du Brésil. Cette année, la première flotte est très serrée mais il y a quatre ans de cela, 1500 milles derrière le premier cela voulait dire naviguer à la quatrième place du Vendée Globe !

Armel Tripon a aussi dépassé la mi-parcours, avec 51,2% de la route parcourue. Enfin, il est à nouveau le plus rapide de toute la flotte du Vendée Globe sur les dernières 24 heures : 453 milles couverts entre le pointage de 9 heures lundi et celui de 9 heures ce mardi. C’est 200 milles de plus que le leader Yannick Bestaven (qui entre dans une zone de vents faibles) et 110 milles de plus que le prochain bateau devant lui.

Pour résumer, jamais l’écart n’a été aussi faible avec les deux bateaux devant Armel Tripon et jamais l’écart n’a été aussi grand avec les bateaux derrière lui. Ce qui fait de lui le skipper le plus isolé des 27 marins solitaires qui restent en course à ce jour. Par ailleurs la situation météo offre, peut-être, une opportunité de revenir encore un peu plus au contact car Romain Attanasio et Clarisse Crémer ont annoncé qu’ils vont probablement devoir soit ralentir soit mettre du nord dans leur route pour éviter le plus gros d’une dépression. Ils devraient couvrir moins de milles sur la route directe… ce qui pourrait profiter à Armel Tripon même si lui aussi sera ralenti mais probablement plus tard qu’eux.

 

« Je suis à l’autre bout du monde et ma mobylette avance bien ! »

Nous verrons bien. En attendant, nous avons pu joindre Armel Tripon ce matin. La liaison était assez mauvaise, mais voici ce qu’il a réussi à nous transmettre et qui en dit long sur sa motivation et son excellent moral :

« J’attaque la traversée du Pacifique, ce n’est pas rien !  Je suis à l’autre bout du monde et ma mobylette avance bien ! Je suis à 18 nœuds. Je navigue devant une dépression qui me poursuit. Il y a près de 30 nœuds de vent et beaucoup de houle, ce n’est pas simple de trouver les bons réglages, mais je progresse bien. Je devrais être un peu ralenti par la suite, mais dans un premier temps je pense pouvoir revenir sur Romain (Attanasio) et Clarisse (Crémer). C’est un beau symbole d’entrer rapidement comme ça dans le plus grand océan du monde. Il fait froid mais sous la casquette dans le cockpit ça chauffe vite dès qu’il y a un peu de luminosité, alors je n’ai pas trop à me plaindre, même si c’est très humide. La situation météo est complexe pour tout le monde. La flotte est divisée en deux entre le Pacifique et l’Indien, moi j’ai réussi in extremis à accrocher le premier wagon et je suis bien content de cela. Il y aura d’autres opportunités de revenir, je pense. En tous cas j’y crois ! »

Ainsi va la vie dans les cinquantièmes rugissants, à deux jours d’un réveillon de Noël qui pourrait bien réserver quelques surprises au skipper de L’Occitane en Provence. La tradition du Vendée Globe veut en effet que l’équipe et la famille du skipper cachent quelques sacs spéciaux dans le bateau, mais chut… Encore un peu de patience avant de savoir si le Père Noël passe aussi dans les cinquantièmes hurlants. A l’autre bout du monde. Dans l’immensité d’un désert océanique qu’aucun humain ne fréquente jamais, à l’exception des skippers du Vendée Globe.

 » Voilà : il fait grand jour, grand gris, mais lumineux, un gris accueillant, presque chaud. J’ai tracé une droite qui part de la Tasmanie, vers le Sud, à 180° ! Une ligne imaginaire, une nouvelle ligne de départ. J’entre dans le Pacifique alors qu’à terre vous entrez dans votre nuit, j’attaque un nouveau monde, sans frontières, sans limite, si ce n’est géographique. Je n’ai vu personne au passage tiens ! Pas un cachalot, pas une baleine à bosse pour me saluer ou demander mes papiers ! L’océan n’a donc pas de frontières, l’Europe se rétrécit, se rabougrit, se renferme sur elle-même et moi je parcours le monde océanique libre comme le vent, je tourne autour du globe comme un derviche, la vitesse, le bruit, la musique, le bateau qui tape, qui tape, qui tape au rythme que je lui impose.

Ce pacte de confiance tient bon : certes il fuit, grince, gémit, suinte, mais encaisse, et même en redemande, à la limite du raisonnable, du pas raisonnable du tout même quelques fois. C’est un pur-sang, un andalou, fier et bravache qui en veut toujours plus. Alors quand c’est possible, je lui lâche la bride, lui donne du champ, il me regarde du coin de l’œil et part en ruade, me désarçonnant presque. Je change de mode, baisse la tête, serre les étriers, tend mon corps et surtout bouche mes oreilles, car ces cavalcades ont un prix ! Le monde du silence disparait, et le bruit est souvent anxiogène, alors mieux vaut ne pas l’entendre.

J’attaque le Pacifique, ça claque ! L’eau jaillit sur le pont, les derniers surfs disparaissent, à ma gauche la Nouvelle-Zélande, petit pays que je rêve de découvrir ; à ma droite l’Antarctique, immense continent que je rêve de voir de près et face à moi et loin, très loin, le CAP HORN ! Entre nous, un océan gigantesque et des petits bateaux sur l’eau que je rêve de doubler !  »

 

Au cap Leeuwin (Australie), Armel Tripon raconte ses grandes premières et d’où viennent ses rêves de tour du monde

L’Occitane en Provence a franchi la longitude du cap Leuuwin, au sud-ouest de l’Australie, ce vendredi 18 décembre à 12 heure . Entre Bonne Espérance et le cap Horn, c’est le deuxième des trois grands caps mythiques du tour du monde. Nous avons joint Armel Tripon en mer pour ce moment symbolique. Il nous a raconté pourquoi il vit un rêve de jeunesse et en quoi il collectionne les « premières fois » depuis 40 jours.

« Le décor est somptueux. La mer est courte. Il y a 25 nœuds de vent, le bateau glisse dans un rayon de soleil. C’est magique. Si le cap Leeuwin est un peu moins célèbre que le cap de Bonne Espérance et le Horn pour les marins, il est aussi très symbolique… » Armel Tripon est à la fois actif (le bateau va vite) et contemplatif aujourd’hui. Ce vendredi 18 décembre fera date dans sa carrière de skipper. Jamais il n’a navigué aussi loin, jamais aussi longtemps, jamais dans les quarantièmes rugissants… en attendant les cinquantièmes hurlants.

Le Grand Sud Austral où rien n’arrête ni le vent ni les vagues

Le cap Leeuwin c’est le cœur du « Pays de l’Ombre », le Grand Sud austral où rien n’arrête le vent et les vagues. C’est aussi le moment où les skippers du Vendée Globe commencent à regarder vers le Pacifique et se disent qu’ils vont probablement réussir à vaincre cet océan Indien de tous les dangers. C’est le moment oùl’on commence à penser jusqu’au cap Horn. il faudra auparavantpasser la longitude de la Tasmanie (d’ici trois à quatre jours pour L’Occitane en Provence). Ce sera aussi une étape importante, car c’est à partir de la Tasmanie que lon cesse de s’éloigner géographiquement des Sables-d’Olonne et que lon commence enfin à s’en rapprocher.

A l’occasion de ce passage du cap Leeuwin, nous avons demandéà Armel Tripon les « grandes premières » qu’il estime avoir vécu sur cette première moitié de Vendée Globe. Les voici :

 

Les premières d’Armel Tripon sur ce Vendée Globe

Première navigation dans les quarantièmes Rugissants

« Les quarantièmes, oui c’est une grande première pour moi. On ne peut pas les résumer en quelques mots, ce sont des latitudestellement vastes, sur lesquelles on navigue tellement longtemps pendant un Vendée Globe ! Et j’y rencontre tellement de vents et de conditions de mer différentsMais ce qui les caractérise je dirais que c’est une lumière étrange et surtout des nuits d’une pureté incroyable, sans pollution aucune, qui me font penser à une sorte de jour originel. On a le sentiment d’y être vraiment minuscule par rapport à la nature. Naviguer dans les quarantièmes est un grand moment dans ma vie de marin, c’est très symbolique. Je me pince pour y croire tellement je trouve cela beau. »

« J’avais 20 ans, nous rêvions de partir autour du monde »

 

Premier cap de Bonne Espérance

« Bonne Espérance est très symbolique également parce que c’est la porte d’entrée du Grand Sud, dans les mers australes. Franchir ce cap m’a remémoré le projet que nous avions monté avec deux amis lorsque j’étais au centre de voile des Glénan. J’avais 20 ans et avec mes deux copains, nous rêvions de faire le tour du monde à la voile. Nous étions allés vraiment loin dans notre projet, mais finalement nous n’avons jamais pu partir. Je ne cesse d’y penser. Car aujourd’hui, des années plus tard, je réalise ce rêve : je me retrouve à naviguer autour du monde, à la barre d’un voilier de course magnifique. C’est un sentiment d’autant plus fort que lunde mes deux amis est décédé depuis. Je suis toujours très proche de l’autre, Manu, qui se reconnaitra. A l’époque, nous étions juste de jeunes voileux passionnés qui apprenaient la croisière, la navigation au large. A Paimpol, un bouquiniste nous gardait les livres de mer des éditions Arthaud et on dévorait les bouquins de Moitessier, des Damien, tous les grands récits de voile au long cours, autour du monde. Ce sont ces livres et ce projet avec mes copains qui ont construit mon imaginaire. Au point que j’ai parfois l’impression de naviguer dans un livre. Me retrouver ici, dans les mers australes, ravive ces souvenirs. C’est très fort. »

 

Premier albatros

« Le tout premier que j’ai vu, le 2 décembre, j’étais comme un enfant ! Il y en a beaucoup dans l’océan Indien, mais on a l’impression que c’est toujours le même qui plane autour du bateau. Ce matin encore jallais changer une voile à l’avant du bateau, il y avait du vent assez fort, du soleil… et un albatros planait juste à côté de moi. Je le voyais monter, descendre, jouer, chercher l’équilibre avec le vent et les vagues. Ils font de microréglages sur leurs ailes, c’est fascinant. Vraiment magique à observer ! On ne trouve ces grands oiseaux qu’ici. Ils sont le symbole des marins qui vont loin. Ils nous accompagnent. J’adore. »

 

Premier lever de soleil austral

« Cétait le 9 décembre. C’est grandiose. Un lever de soleil à 2h du matin qui embrase l’immensité de l’océan. Là aussi ce genre d’événement remet l’humain à sa place, tout petit dans la nature. C’est ce qui caractérise ce tour du monde : sans cesse il exige de relativiser, de rester humble. Sans cesse l’immensité me renvoie à des questions existentielles, celles où l’être humain prend conscience qu’il n’est qu’une infime partie de l’univers. Qu’il fait partie de la nature, qu’il est de passage, mais qu’il n’est pas au-dessus de la nature. Parfois les conditions me le rappellent de manière brutale, quand le vent et la mer se lèvent fort. Parfois c’est avec un lever de soleil paisible et magnifique

 

Première fois aussi longtemps en mer

« Déjà plus de quarante jours seul en mer ! Jusqu’ici je n’avais jamais dépassé vingt-cinq jours. Et c’était sur une traversée de l’Atlantique Nord, donc dans une ambiance très différente. Là, quarante jours en solitaire sur des océans aussi éloignés de la civilisation, c’est une première à tous points de vue. Je ne trouve pas cela long, car mon rapport au temps a changé totalement. Par exemple, il faut que je regarde un calendrier sur mon ordinateurpour savoir quel jour de la semaine nous sommes ! Jai perdu cette notion-là, je ne sais pas si on est jeudi, vendredi ou samedi. Même si on ne perd pas complètement le contact avec la terre, avec les vacations et les prises de fichiers météo qui rythment la journée, il est évident que mon rapport au temps est très différent de celui que j’ai à terre. Et il y a beaucoup de choses à faire à bord, c’est très rythmé. J’ai l’impression que le tempspasse vite ! »

 

Des histoires de météo, d’oiseaux et de musique avec Armel Tripon, joint au moment de son petit-déjeuner, à 5h00 ce matin.

« Je me fais rattraper par la dorsale, ça a un peu molli mais je suis quand même sous J0, je fais de beaux surfs sur la houle, c’est sympa. Je suis entre deux systèmes… Il y a pas mal d’instabilité avant de récupérer un nouveau flux. Ce n’est pas si évident. Entre les modèles météo et la vraie vie, en termes d’intensité et surtout de rafales, ça diverge pas mal. Difficile de savoir où mettre le curseur. Les modèles – notamment le CEP que j’utilise sur des pas d’une heure- sont très bons sur le vent moyen, les bascules, les timings, mais sur les rafales, il y a toujours un décalage.

J’ai finalement peu de navigation dans la brise avec de la mer, donc les configurations de voiles, je ne les maîtrise pas encore très bien. Je tâtonne un peu.  Il faut que je trouve les manettes.

J’ai cinq heures de décalage avec vous. C’est tout gris, il y a encore 2/3 mètres de houle. J’ai entre 10 et 12 nœuds de vent. Le bateau fait des surfs à 20 nœuds. J’ai autour de moi des vols d’oiseaux incroyables. Ils sont une vingtaine derrière moi, une belle escorte : des albatros et d’autres espèces que je ne connais pas.

Là, je suis au petit dej’ du dimanche matin avec des œufs au curry. Et il commence à cailler sérieux ! (On entend de la musique derrière) Il m’est arrivé une histoire incroyable. J’avais préparé toutes mes compils et mes podcasts sur deux téléphones et je ne sais pas pourquoi, j’ai tout perdu. Heureusement, mon caméraman/vidéaste m’a sauvé. Il m’avait donné avant le départ un disque dur plein de musiques et de films. Ça me sauve, parce que sans musique, c’est triste. Il y a des moments qui sont fabuleux à vivre, c’est encore mieux de les vivre en musique ».

 

Vidéo du jour :

 

Armel est en chasse dans l’Indien avec deux bateaux en ligne de mire…
« Une nuit avec un changement d’allure, je suis maintenant au portant dans 23 à 25 nœuds de vent. Il faut encore que je trouve le bon mode pour accélérer encore un peu. La mer est un peu plus formée aujourd’hui ! Le ciel est gris, les températures restent assez douces et j’ai pleins d’oiseaux qui suivent le bateau… la vie est belle à bord ! »

Un mois jour pour jour que les marins du Vendée ont pris le départ de cette neuvième édition. Pour ce mardi 8 décembre qui marque son trentième jour en mer, Armel pointe à la 14e position. Avec 439 milles parcourus en 24 heures (812 kilomètres), Armel Tripon est de nouveau le plus rapide de la flotte du Vendée Globe. Décidée voilà 48 heures, sa stratégie d’aller le plus vite possible pour éviter une grosse dépression est un succès. L’Occitane en Provence va maintenant naviguer dans de bonnes conditions, en bordure d’anticyclone. Armel Tripon raconte une nuit extraordinaire de vitesse, avec des surfs à 29 nœuds sous les étoiles !

 

« Il n’y a plus de danger pour moi, la dépression a un peu de retard, elle est un peu moins virulente que prévu et surtout j’ai déboulé à grande vitesse cette nuit pour passer devant. J’étais par moments à 25, 26, 27 nœuds, j’ai fait des surfs à 29 nœuds ! »

Près de 30 nœuds en monocoque, c’est assez dingue en effet et cela prouve une fois de plus tout le potentiel du plan Manuard construit par Black Pepper. Armel Tripon raconte : « en revanche je n’ai pas fermé l’œil de la nuit ou presque car j’ai eu de nombreux changements de voile à faire, des ris à prendre et à renvoyer pour rester en permanence dans le flux et aller le plus vite possible. Le bateau réagit super bien, il ne demande qu’à accélérer ».

 

« Il n’y a plus de danger pour moi »

En bordure de la ZEA, la zone interdite des glaces, il fait de plus en plus froid mais tous les voyants sont au vert pour L’Occitane en Provence car non seulement le phénomène dangereux est évité, mais aussi parce que les perspectives météo sont très intéressantes. « Il n’y a pas de mer où je suis, contrairement à ce que connaissent mes collègues devant et derrière moi. Je n’ai même pas deux mètres de vagues. La situation peut bouger évidemment mais le scénario est très sympa car je devrais naviguer longtemps en bordure d’anticyclone, donc avec du vent mais très peu de mer.  C’est assez original dans l’océan Indien mais cela me permet d’aller vite tout en préservant le bateau. »

 

« Je m’attendais à une entrée dans l’Indien bien plus difficile, je ne vais pas me plaindre ! »

Bref, c’est une excellente période pour Armel Tripon et L’Occitane en Provence, au trentième jour de course. D’autant qu’Armel Tripon parvient à avoir une VMG (« Velocity Made Good » c’est-à-dire une vitesse de rapprochement vers le but) proche de 100% en permanence. Autrement dit, il va vite au bon endroit. Pourvu que ça dure !

Bien que les prochains objectifs (les bateaux de Clarisse Crémer et Romain Attanasio)  soient encore 700 milles devant lui, tout va bien pour le moment. Il est 14e, avec un gros moral et de belles perspectives. « Il faut être patient, aller vite tout en préservant le bateau, ne pas oublier de récupérer, faire les bons choix… et on verra bien ce que ça donne. Mais c’est sûr que je m’attendais à une entrée dans l’Indien bien plus difficile que ça, je ne vais pas me plaindre ! »

 

Nouvelle étape importante pour Armel Tripon : après 28 jours de mer le skipper de L’Occitane en Provence a fait son entrée dans l’océan Indien en franchissant la longitude du Cap des Aiguilles cette nuit, quelques heures après avoir doublé le Cap de Bonne Espérance. Faible hier, le vent de nord est revenu et Armel Tripon, désormais 14e du Vendée Globe, est passé devant Alan Roura à grande vitesse : 20 nœuds. Aller vite est important pour passer devant une dépression qui « descend » de Port Elizabeth.

 

Beaucoup de symboles au menu d’Armel Tripon qui a franchi le cap de Bonne Espérance à 17h48 hier dimanche 6 décembre puis – quelques heures plus tard, à 2 heures du matin aujourd’hui lundi  – le Cap des Aiguilles. Si Bonne Espérance est le premier des trois grands caps mythiques du Vendée Globe (avant le Cap Leeuwin en Australie et le Cap Horn à la pointe de l’Amérique du Sud), c’est bien ce Cap des Aiguilles, par 20 degrés de longitude est, qui marque officiellement la fin de l’Atlantique sud et l’entrée dans l’océan Indien, ce désert liquide et glacé où Armel Tripon navigue pour la première fois.

 

L’ambiance change radicalement : brume, froid, vent

Le skipper nantais n’a pas perdu son humour dans la journée calme d’hier, où le petit groupe de quatre bateaux que forme L’Occitane en Provence avec les IMOCA d’Alan Roura, Stéphane Le Diraison et Arnaud Boissières était copieusement ralenti dans une zone sans vent.  Armel plaisante : « J’étais un peu dépité ; Disons que j’avais pris mon dimanche ; Depuis un mois que nous sommes partis, je n’ai pas eu un seul week-end et je voulais profiter de ma location vue sur mer !»  Heureusement le vent de secteur nord est revenu dans le courant de la nuit dernière et L’Occitane en Provence file ce matin à 20 nœuds de moyenne ! Armel Tripon a réussi à prendre la 14 ème place en passant devant Stéphane Le Diraison, puis Alan Roura. L’Occitane en Provence a ainsi réalisé un des meilleurs chronos intermédiaires de la flotte entre l’équateur et Bonne Espérance, ce qui explique aussi cette remontée au classement.

 

« Je suis en mode sioux, à l’attaque dans l’Indien »

L’ambiance change radicalement dans ce désert maritime austral. « Hier on a dépassé une masse nuageuse dans un brouillard à couper au couteau. J’avais l’impression d’être à Terre-Neuve, de sentir les icebergs pas loin. A tel point que j’avais l’impression d’en distinguer dans la brume, même s’il n’y en avait pas. C’était assez irréel, ambiance Titanic. On sait que les icebergs ne sont pas très loin, c’est pour cette raison aussi que la ZEA (zone des glaces) a été remontée par la direction de course. »

Hier Armel a aussi pu apercevoir le bateau d’Alan Roura, à environ 5 milles de L’Occitane en Provence : « on a eu une petite conversation à la VHF avec Alan, comme je l’avais fait avec Stéphane (Le Diraison) 24 heures avant. C’était sympa : on a partagé nos petites galères, nos joies et nos peines, on a échangé nos impressions. » Le tout sur fond de températures glaciales et de nuits très, très courtes. « Le jour se lève à 3 heures du matin après s’être couché à 22 heures, ça fait vraiment bizarre, c’est un autre monde ! Je vois plein d’oiseaux, les albatros qui reviennent avec le vent car ils en ont besoin pour planer. Là, on navigue vite de nouveau depuis quelques heures : je suis à 20 nœuds de moyenne, avec un ris dans la grand-voile et ça cavale bien. Je suis en mode sioux, à l’attaque dans l’Indien ! »

 

Objectif : passer devant la dépression

L’objectif d’Armel Tripon est de naviguer tout droit le plus vite possible pour se glisser devant une dépression assez creuse qui descend de Port Elizabeth (Afrique du Sud). « Je ne change pas ma route pour elle » annonce Armel Tripon, « car j’estime que je suis assez rapide pour passer devant cette dépression. Au pire, si je devais être un peu ralenti car il y a peu de marge, je devrai éventuellement subir quelques heures dans 25 nœuds de vent au près mais pas plus. Et la situation a l’air assez stable… donc pour moi c’est largement maniable : je fais la route. »

Armel Tripon témoigne encore : « On est en mer depuis un mois, on navigue par 45 degrés sud, on rentre dans le temps long du Vendée Globe. Jusque-là je connaissais l’ambiance, mais pas ici. Il y a des couleurs et des lumières incroyables, une petite mer croisée qui tape un peu mais permet encore d’aller vite… C’est joli mais je suis surtout concentré sur ma course : je m’applique pour aller vite, passer devant cette dépression et essayer de profiter d’une belle situation, avec ce flux de vent de nord qui m’accompagne. »

 

Aquarelle : Alice Van de Walle

Après 28 jours, 3 heures et 28 minutes de course, Armel et L’Occitane en Provence ont franchi ce mythique cap ! Mais leur entrée dans l’Océan Indien ne se fera véritablement qu’au passage de la longitude du Cap des Aiguilles, dans quelques dizaines de milles.

 

 

« Hello, hier matin aux portes du Sud par 42 ° 38 N et 11 09 W, je sors sur le pont prendre un ris, scrute l’horizon, à l’affut et là, soudain sous le vent, à ma hauteur, je l’aperçois, noble et majestueux, dans son vol plané, comme suspendu. Il m’accueille, m’ouvre les portes de son royaume, je croise le regard de mon premier albatros. Quelle joie, je ris seul, m ‘émeut de cette première rencontre tant attendue et symbolique. J’ai vu le premier albatros de ma vie, ce n’est plus une image, un rêve, une lecture, non, je partage quelques instants son vol puis revient très vite finir ma manœuvre… L’escorte n’aura duré que quelques instants mais cette rencontre magique scelle mon voyage dans le grand Sud de la plus belle des manières. »